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plus d’autre pensée que d’entraîner avec lui Cicéron. Il savait qu’il ne pouvait rien faire qui fût plus agréable à César. Tout victorieux qu’il était, César, qui ne se faisait pas d’illusion sur ceux qui le servaient, sentait bien qu’il lui manquait quelques honnêtes gens pour donner à son parti une meilleure apparence. Le grand nom de Cicéron aurait suffi pour corriger le mauvais effet que produisait son entourage. Malheureusement Cicéron était fort difficile à décider. Il passa tout le temps qui sépare le passage du Rubicon de la prise de Brindes à changer d’opinion tous les jours. Des deux côtés on tenait également à se l’attacher, et les deux chefs eux-mêmes le sollicitaient, mais d’une façon très différente. Pompée, toujours maladroit, lui écrivait des lettres courtes, impérieuses : « Prenez au plus tôt la voie Appienne, venez me trouver à Lucérie, à Brindes, vous y serez en sûreté[1]. » Singulier langage d’un vaincu qui s’obstine à parler en maître ! César était bien plus habile : Venez, lui disait-il, venez m’aider de vos conseils, de votre nom, de votre gloire[2]  ! » Ces ménagements, ces avances d’un général victorieux, qui sollicitait humblement quand il avait le droit de commander, ne pouvaient pas laisser Cicéron insensible. En même temps, pour être plus sûr de le gagner, César lui faisait écrire par ses amis les plus chers, Oppius, Balbus, Trébatius, surtout Cælius, qui savait si bien le moyen de le prendre. On l’attaquait à la fois par toutes ses faiblesses ; on ranimait de vieilles rancunes contre Pompée ; on l’attendrissait par le tableau des malheurs qui menaçaient sa famille ; on enflammait sa vanité en lui montrant l’honneur de réconcilier les partis et de pacifier la république.

Tant d’assauts devaient finir par ébranler une âme aussi faible. Au dernier moment, il semblait décidé à

  1. Ad Att., VIII, 11.
  2. Ad Att., IX, 6.