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au milieu d’un danger si réel, chez un homme qui avait conquis des royaumes et conduit de si grandes affaires, passe l’imagination.

D’où pouvait donc venir à Pompée cette confiance ? Manquait-il de données exactes sur les forces de son adversaire ? croyait-il véritablement, comme il le disait, que ses troupes étaient mécontentes, ses généraux infidèles, et que personne ne le suivrait dans la guerre qu’il allait faire à son pays ? ou comptait-il sur la fortune de ses premières années, sur le prestige de son nom, sur ces hasards heureux qui lui avaient donné tant de victoires ? Ce qui est certain, c’est qu’au moment où les vétérans d’Alésia et de Gergovie se réunissaient à Ravenne et se rapprochaient du Rubicon, l’imprudent Pompée affichait un grand mépris pour le général et pour ses troupes, vehementer contemnebat hunc hominem ![1] Mais cette forfanterie ne dura guère ; à la nouvelle que César marchait résolument sur Rome, elle tomba tout d’un coup, et ce même homme que Cicéron nous montrait tout à l’heure dédaignant son rival et prédisant sa défaite, il nous le fait voir, à quelques jours de distance, épouvanté et fuyant jusqu’au fond de l’Apulie sans oser s’arrêter ou tenir ferme nulle part. Nous avons la lettre que Pompée écrivit alors aux consuls et à Domitius, qui essayait au moins de résister dans Corfinium : « Sachez, leur dit-il, que je suis dans une grande inquiétude (scitote me esse in summa sollicitudine[2]. Quel contraste avec les paroles insolentes de tout à l’heure ! Voilà bien le style d’un homme qui, se réveillant en sursaut d’espérances exagérées, passe brusquement d’un excès à l’autre. Il n’avait rien préparé, parce qu’il était trop assuré du succès ; il n’ose rien entreprendre parce qu’il est trop certain de la

  1. Ad Att., VII, 8.
  2. Ad Att, VIII, 12.