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resta. On voit que cette société avait encore beaucoup de progrès à faire ; mais elle les fera vite, grâce à la monarchie qui va commencer. Tout change avec Auguste. Sous un régime nouveau, ces restes de grossièreté qui sentaient la vieille république disparaissent ; on se corrige si bien et l’on devient si difficile, que les délicats ne tardent pas à se moquer de Calvus et de Catulle, et que Plaute passe pour un barbare. On se polit, on se raffine, et en même temps on s’affadit. Un air de cour se répand sur la littérature galante, et le changement est si prompt qu’un ne met guère, plus d’un quart de siècle pour tomber de Catulle à Ovide.

Les amours de Clodia et de Catulle finirent fort tristement. Clodia ne se piquait pas d’être fidèle, et elle ne justifiait que trop son amant quand il lui écrivait : « Les promesses que fait une femme, il faut les confier au vent ou les écrire sur l’eau qui s’enfuit[1]. » Catulle, qui se savait trompé, s’en voulait de le souffrir. Il se raisonnait, il se grondait et ne se corrigeait pas. Malgré toute la peine qu’il prenait pour se donner du courage, l’amour était le plus fort. Après des luttes douloureuses qui déchiraient son cœur, il revenait triste et soumis aux pieds de celle qu’il ne pouvait s’empêcher parfois de mépriser, et qu’il aimait toujours. « J’aime et je hais, disait-il : vous me demandez comment cela peut se faire, je n’en sais rien ; mais je sens bien qu’il en est ainsi, et mon âme en est torturée[2]. » Tant de souffrance et de résignation ne touchait guère Clodia. Elle s’enfonçait de plus en plus dans d’obscures amours, et il fallut bien que le pauvre poète, qui n’avait plus d’espérance, s’éloignât d’elle pour jamais. La rupture de Clodia et de Cælius fut beaucoup plus tragique. C’est par un procès criminel que leur amour se dénoua. Cette

  1. Cat. Carm., 70.
  2. Cat. Carm., 85.