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et les attirait chez elle. Un moment elle voulut persuader à Cicéron, dont elle admirait beaucoup le talent, de renoncer pour elle à sa sotte Terentia et de l’épouser ; mais Terentia, qui s’en douta, parvint à les brouiller mortellement ensemble. Un vieux scholiaste dit qu’elle dansait mieux qu’il ne convient à une honnête femme[1]. Ce n’était pas le seul art pour lequel elle eût du goût, et l’on a cru pouvoir induire d’un passage de Cicéron qu’elle faisait aussi des vers[2]. Cultiver les lettres, rechercher les gens d’esprit, aimer les plaisirs délicats et distingués, tout cela ne semble d’abord avoir rien de blâmable ; au contraire, ce sont chez nous les qualités qu’une femme du monde est tenue de posséder ou de feindre. On pensait autrement à Rome, et, comme les courtisanes avaient seules alors le privilège de cette vie élégante et libre, toute femme qui recherchait leurs talents courait le risque d’être confondue avec elles et traitée par l’opinion publique avec la même rigueur ; mais Clodia ne se souciait pas de l’opinion. Elle apportait dans sa conduite privée, dans ses engagements d’affection, les mêmes emportements et les mêmes ardeurs que son frère dans la vie publique. Prompte à tous les excès et ne rougissant pas de les avouer, aimant et haïssant avec fureur, incapable de se gouverner et détestant toute contrainte, elle ne démentait pas cette grande et fière famille dont elle descendait, et, jusque dans ses vices, la race se reconnaissait en elle. Dans un pays où l’on affichait le respect des vieux usages, dans cette terre classique du decorum (le mot et la chose sont romains), Clodia se faisait un plaisir de choquer les lois reçues ; elle sortait avec ses amis, elle se faisait accompagner par eux dans les jardins publics ou sur la

  1. Schol., Bob., p. Sext., éd. Or., p. 304.
  2. Schwab, Quæst. Catull., p. 77.