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de les conduire à quelque homme d’État en renom qu’ils ne quittaient plus. Admis à sa familiarité la plus intime, ils écoutaient ses entretiens avec ses amis, ses discussions avec ses adversaires ; ils le voyaient se préparer dans le silence aux grandes batailles de la parole, ils le suivaient dans les basiliques et sur le forum, ils l’entendaient plaider des procès ou parler au peuple assemblé, et quand ils étaient devenus capables de parler eux-mêmes, ils débutaient à ses côtés et sous son patronage. Tacite regrette beaucoup cette éducation virile, qui, plaçant un jeune homme dans les conditions mêmes de la vérité, au lieu de le retenir parmi les fictions de la rhétorique, lui donnait le goût d’une éloquence naturelle et vraie, qui le fortifiait en le jetant du premier coup au milieu des combats véritables, et, selon son expression, lui enseignait la guerre sur le champ de bataille, pugnare in prœlio discebant[1]. Cette éducation présentait cependant un grand danger. Elle lui apprenait trop vite des choses qu’il vaut mieux ignorer longtemps, elle le familiarisait avec les spectacles de scandale et de corruption qu’offre d’ordinaire la vie publique, elle lui faisait une maturité trop rapide et l’enflammait d’ambitions précoces. Ce jeune homme de seize ans qui vivait dans l’intimité de ces vieux hommes d’État sans scrupules, et à qui l’on découvrait sans précaution les plus basses manœuvres des partis, ne devait-il pas perdre quelque chose de la générosité et des délicatesses de son âge ? N’était-il pas à craindre que ce commerce corrupteur ne finît par lui donner le goût de l’intrigue, le culte du succès, un amour effréné du pouvoir, le désir d’arriver haut et vite par tous les moyens, et, comme en général les plus mauvais sont aussi les plus courts, la tentation de les employer de préférence ?

  1. De Orat., 34.