Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la violent. Il était donc naturel que César, en arrivant à Rome, accueillit bien Atticus et tous ceux qui n’étaient pas allés à Pharsale, comme il l’était aussi qu’on fût très irrité contre eux au camp de Pompée. Atticus ne s’émut pas beaucoup de cette colère : il laissa dire cette jeunesse légère et emportée, qui ne se consolait pas d’avoir quitté Rome, et qui menaçait de s’en venger sur ceux qui y étaient restés. Que lui faisaient ces menaces ? Il était sûr d’avoir conservé l’estime des deux hommes les plus importants et les plus respectés du parti, et il pouvait opposer leur témoignage à tous les emportements des autres. Cicéron et Brutus, malgré l’ardeur de leurs convictions, ne lui en ont jamais voulu de sa conduite, et ils ont paru approuver qu’il ne se mêlât pas des affaires publiques. « Je connais l’honnêteté et la noblesse de vos sentiments, lui disait Cicéron un jour qu’Atticus avait cru devoir se défendre ; il n’y a entre nous qu’une différence, c’est que nous avons réglé notre vie autrement. Je ne sais quelle ambition m’a fait souhaiter les honneurs, tandis que des motifs qui ne sont nullement blâmables vous ont fait prendre le parti d’une honnête oisiveté[1]. » D’un autre côté, Brutus lui écrivait vers la fin de sa vie : « Je me garde bien de vous blâmer, Atticus ; votre âge, votre caractère, votre famille, tout vous fait aimer le repos[2]. »

Cette complaisance de la part de Brutus et de Cicéron est d’autant plus surprenante qu’ils n’ignoraient pas le mal qu’un exemple pareil pouvait faire à la cause qu’ils défendaient. Ce n’est pas seulement par l’audace de ses ennemis que la république périssait, c’était aussi par l’apathie de ses partisans. Le triste spectacle qu’elle offrait

  1. Ad Att., I, 17. Voyez aussi de Offic., I, 21, et surtout I, 26. Ce dernier passage contient évidemment une allusion à Atticus.
  2. Epist. Brut., I, 17.