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mocratie. Comme toutes les fonctions sont ouvertes à tout le monde, et que, grâce à la diffusion des lumières, il peut naître dans tous les rangs des hommes dignes de les occuper, il n’est guère à craindre que l’absence de quelques esprits tranquilles, amis de la paix et du repos, fasse un vide sensible et regrettable dans ces rangs pressés qui se précipitent de tous les côtés à l’assaut du pouvoir. D’ailleurs, nous pensons aujourd’hui qu’en dehors de la vie publique il y a mille manières de servir son pays. Les Romains de grande naissance n’en connaissaient pas d’autre ; ils ne considéraient le commerce que comme un moyen assez peu honorable[1] qu’un particulier emploie pour faire sa fortune, et ne voyaient pas ce que l’État peut y gagner ; la littérature ne leur semblait qu’un passe-temps agréable mais futile, et ils n’en comprenaient point l’importance sociale. Il s’ensuit que chez eux un homme d’un certain rang ne pouvait trouver qu’une seule façon honnête d’employer son activité et d’être utile à son pays, c’était de remplir des fonctions politiques[2]. Faire autre chose était pour eux ne rien faire ; ils donnaient le nom d’oisifs aux savants les plus laborieux, et il ne leur venait pas dans l’esprit qu’en dehors du service de l’État, il y eût rien qui valût la peine d’occuper le temps d’un citoyen. C’est ainsi que pensaient tous les vieux Romains, et ils auraient éprouvé une surprise étrange s’ils avaient vu quelqu’un s’arroger, comme le fit Atticus, le droit de ne point servir son pays dans la limite de ses forces et de ses talents. Assurément Caton, qui ne se reposa jamais, qui à quatre-vingt-dix ans quittait bravement sa villa de Tusculum pour venir accuser Servius

  1. Tite-Live, XXI, 63 : Quæstus omnibus patribus indecorus visus.
  2. C’est ce que dit Scipion, dans la République (I, 22) : Quum mihi sit unum opus hoc a parentibus majoribusque meis relictum, procuratio atque adminisiratio rei publicæ, etc.