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monde entier ; après l’avoir conquis, ils s’occupaient à l’exploiter. À la suite des légions, et presque sur leurs pas, une foule d’hommes habiles et entreprenants s’était abattue sur les provinces qu’on venait de soumettre pour y chercher fortune ; ils savaient accommoder leur industrie aux ressources et aux besoins de chaque pays. En Sicile et en Gaule, ils cultivaient de vastes domaines et spéculaient sur les vins et sur les blés ; en Asie, où se trouvaient tant de villes opulentes et obérées, ils se faisaient banquiers, c’est-à-dire ils leur fournissaient par leurs usures un moyen prompt et sûr de se ruiner. En général, ils songeaient à rentrer à Rome dès que leur fortune serait faite, et pour y revenir plus tôt ils cherchaient à s’enrichir plus vite. Comme ils étaient campés et non vraiment établis dans les pays vaincus, qu’ils s’y trouvaient sans affection et sans racines, ils les traitaient sans miséricorde et s’y faisaient détester. On les poursuivait souvent devant les tribunaux, et ils avaient grand besoin d’être bien défendus. Aussi cherchaient-ils à se procurer l’appui des meilleurs avocats, surtout celui de Cicéron, le plus grand orateur de son temps. Ce n’était pas trop de son talent et de son crédit pour les tirer des méchantes affaires où ils s’engageaient.

Si l’on voulait bien connaître l’un de ces grands négociants de Rome, qui, par leur caractère et leur destinée, ressemblaient quelquefois aux spéculateurs d’aujourd’hui, il faudrait lire le discours que Cicéron prononça pour défendre Rabirius Postumus. Il y raconte toute l’histoire de son client. Cette histoire est piquante, et il n’est pas sans intérêt de la résumer pour savoir ce qu’étaient ces gens d’affaires de Rome qui avaient si souvent recours à son obligeante parole. Rabirius, fils d’un publicain riche et habile, était né avec l’esprit d’entreprise. Il ne s’était pas borné à un seul genre de commerce, car il était de