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prenons place dans la nacelle. Notre capitaine y entre le premier comme il en sortira le dernier ; c’est la huit cent quatre-vingt-quatrième fois que Jules Godard conduit un ballon à travers les nues. Il tend la main, pour lui faire franchir le bord-de la nacelle, à la toute charmante et intrépide jeune femme, madame S. H., qui accomplit son premier voyage ; Camille Flammarion prend place à son tour, il exécute sa dixième ascension ; Charles Boissay monte le dernier, il en est à son début, mais les ballons sont pour lui une passion d’enfance : tout petit marmot, voyant Poitevin s’enlever à cheval, il eut pour la première fois le désir de le suivre en croupe ; depuis, il n’a jamais laissé échapper une occasion d’assister à une expérience aérostatique, il a toujours dévoré les relations de voyages aériens, et a dû aux ballons ses plus précieuses relations, car il s’est peu à peu mis en rapport avec tous les savants qui s’occupent d’aéronautique. Ce sont les récits des premières ascensions de Flammarion qui l’ont poussé chez lui, irrésistiblement fasciné, et de la date l’origine de leur liaison. Jules Godard aussi est pour Boissay une vieille connaissance : lors de la première ascension du ballon captif de l’Exposition, le 21 septembre 1867, il l’a déjà accompagné jusqu’à 230 mètres au-dessus de la plaine.

Comme le soldat dans la bataille, Godard a oublié la fatigue ; calme et grave, il pèse le lest…

Il est 5 heures 45 minutes, le soleil est levé.

— Allez !

… Nous sommes déjà haut, le terrain de l’usine diminue vite, et ce n’est pas sans peine que nous retrouvons le groupe des amis, anxieux et serrés les uns contre les autres ; nous ne pouvons déjà plus les reconnaître, et nous les saluons encore qu’ils ne forment plus qu’un point sombre, se fondant dans l’infini de l’horizon. Une minute après le départ nous dominons le plus haut monument parisien, la flèche dorée des Invalides ; elle est déjà au-dessous de nos pieds tout là-bas. Nous avons passé auprès d’un groupe d’ouvriers se rendant à leur labeur quotidien qui se sont arrêtés étonnés dans le Champ de Mars en voyant s’élever ce ballon matinal. Portée sur l’aile invisible des vents, notre sphère s’envole rapidement vers l’est, allant au devant du soleil, qui monte comme nous dans le ciel. Pour nos amis d’en bas, notre globe illuminé et rayonnant sillonne l’espace comme un météore et nous, les aéronautes, nous disparaissons dans les feux du levant : c’est bien véritablement là une ascension.

Quoique à leur premier début, ni madame H. ni Boissay n’éprouvent la moindre crainte. L’admiration est si forte qu’elle envahit toute l’âme, en déborde par des exclamations entrecoupées et naïves