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Aussi l’Esperanto s’adapte-t-il non seulement aux usages de la vie courante, aux besoins du commerce, à la correspondance familière, mais même à l’expression des idées philosophiques et scientifiques comme le prouve l’existence d’une revue scientifique tout entière rédigée en Esperanto que publie la librairie Hachette, Internacia Scienca (prononcez Sciença) Revuo. L’auteur de cet article a lui-même vérifié la souplesse de l’Esperanto en traduisant dans cette langue la Monadologie de Leibniz, c’est-à-dire une des œuvres philosophiques les plus abstraites qui soient au monde. Les services que la langue du Dr Zamenhof peut rendre — et qu’elle rend déjà — au tourisme, au commerce et à la science sont donc incontestables, et ils iront se multipliant à mesure que la langue elle-même se répandra.

En ce qui concerne la valeur et le rôle littéraires de l’Esperanto, deux opinions absolument contradictoires sont en présence.

Les uns reprochent à l’Esperanto d’être une langue sans littératute. Nous attendrons, disent-ils volontiers, pour nous y intéresser, qu’on nous présente des chefs-d’œuvre littéraires composés en Esperanto. Jusque-là nous nous refuserons à tenir aucun compte d’un idiome uniquement destiné à des fins aussi mesquines, aussi terre à terre que la science, le commerce le tourisme. — Ne pourrait-on répondre à ces beaux esprits que de telles fins tiennent pourtant dans la vie de l’humanité une place au moins aussi importante que la poésie ou le roman, et que même une langue qui leur serait uniquement consacrée ne serait pas déjà si méprisable ?

Mais en fait l’Esperanto est parfaitement en état de jouer un rôle littéraire. Comme l’ont dit très justement les auteurs de l’Histoire de la langue universelle, MM. Couturat et Leau[1], « l’Esperanto n’est pas une langue artificielle figée et morte, simple décalque de nos idiomes ; c’est une langue autonome, qui possède des ressources intrinsèques et illimitées, qui a une physionomie originale, et un « esprit propre », une langue capable de vivre, de se développer, et de dépasser en richesse, en souplesse et en variété les langues naturelles ; enfin c’est une langue susceptible d’élégance et de style, si l’on admet que la véritable élégance consiste

  1. Paris, Hachette.