Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

D’une robe à longs plis balayer le barreau ?
Mais à ce seul penser je sens que je m’égare
Moi ! que j’aille crier dans ce pays barbare,
Où l’on voit tous les jours l’innocence aux abois
Errer dans les détours d’un dédale de lois,
Et, dans l’amas confus des chicanes énormes.
Ce qui fut blanc au fond rendu noir par les formes ?
Où Patru[1] gagne moins qu’Huot et Le Mazier,
Et dont les Cicérons se font chez Pé-Fournier[2] !
Avant qu’un tel dessein m’entre dans la pensée,
On pourra voir la Seine à la Saint-Jean glacée ;
Arnauld[3] à Charenton devenir huguenot,
Saint-Sorlin[4] janséniste, et Saint-Pavin[5] bigot.
Sa« Quittons donc pour jamais une ville importune.
Où l’honneur a toujours guerre avec la fortune ;
Où le vice orgueilleux s’érige en souverain,
Et va la mitre en tête et la crosse à la main ;
Où la science triste, affreuse, délaissée,
Est partout des bons lieux comme infâme chassée ;
Où le seul art en vogue est l’art de bien voler ;
Où tout me choque ; enfin, où… je n’ose parler,
Et quel homme si froid ne seroit plein de bile,
À l’aspect odieux des mœurs de cette ville ?
Qui pourroit les souffrir ? et qui, pour les blâmer,
Malgré Muse et Phébus n’apprendroit à rimer ?
Non, non, sur ce sujet pour écrire avec grâce,
Il ne faut point monter au sommet du Parnasse ;

  1. Avocat célèbre.
  2. Célèbre procureur : il s’appeloit Pierre Fournier ; mais les gens de palais, pour abréger, l’appeloient Pé-Fournier. (B.)
  3. Le célèbre docteur janséniste.
  4. Saint-Sorlin a écrit contre Port-Royal.
  5. Sanguin de Saint-Pavin, abbé de Livry, était un libertin fameux, émule de des Barreaux et disciple de Théophile.