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Tel aujourd’hui triomphe au plus haut de sa roue,
Qu’on verroit, de couleurs bizarrement orné,
Conduire le carrosse où l’on le voit traîné,
Si dans les droits du roi sa funeste science
Par deux ou trois avis n’eût ravagé la France.
Je sais qu’un juste effroi l’éloignant de ces lieux
L’a fait pour quelques mois disparoître à nos yeux.
Mais en vain pour un temps une taxe l’exile,
On le verra bientôt, pompeux en cette ville,
Marcher encor chargé des dépouilles d’autrui
Et jouir du ciel même irrité contre lui ;
Tandis que Colletet[1], crotté jusqu’à l’échine,
S’en va chercher son pain de cuisine en cuisine,
Savant en ce métier, si cher aux beaux esprits,
Dont Montmaur[2] autrefois fit leçon dans Paris.
Do« Il est vrai que du roi la bonté secourable
Jette enfin sur la muse un regard favorable ;
Et, réparant du sort l’aveuglement fatal,
Va tirer désormais Phébus de l’hôpital[3].
On doit tout espérer d’un monarque si juste,
Mais sans un Mécénas à quoi sert un Auguste ?
Et fait comme je suis, au siècle d’aujourd’hui,
Qui voudra s’abaisser à me servir d’appui ?
Et puis, comment percer cette foule effroyable
De rimeurs affamés dont le nombre l’accable ;
Qui, dès que sa main s’ouvre, y courent les premiers,
Et ravissent un bien qu’on devoit aux derniers[4],

  1. Il y a eu deux Colletet, tous deux poëtes, Guillaume, et son fils François, dont il s’agit ici, auteur de la Muse coquette, etc.. Boileau avait mis d’abord Pelletier au lieu de Colletet.
  2. Célèbre parasite dont Ménage a écrit la vie. (B.)
  3. Le roi, en ce temps-là, à la sollicitation de M. Colbert, donna plusieurs pensions aux hommes de lettres. (B.)
  4. Chapelain, à la demande du roi, avait dressé la liste des gens de