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jamais pour un bon ouvrage, et il faudra à la fin que les connoisseurs eux-mêmes avouent qu’ils se sont trompés en lui donnant leur approbation.

Que si on me demande ce que c’est que cet agrément et ce sel, je répondrai que c’est un je ne sais quoi, qu’on peut beaucoup mieux sentir que dire. À mon avis néanmoins, il consiste principalement à ne jamais présenter au lecteur que des pensées vraies et des expressions justes. L’esprit de l’homme est naturellement plein d’un nombre infini d’idées confuses du vrai, que souvent il n’entrevoit qu’à demi ; et rien ne lui est plus agréable que lorsqu’on lui offre quelqu’une de ces idées bien éclaircie et mise dans un beau jour. Qu’est-ce qu’une pensée neuve, brillante, extraordinaire ? Ce n’est point, comme se le persuadent les ignorans, une pensée que personne n’a jamais eue, ni dû avoir : c’est au contraire une pensée qui a dû venir à tout le monde, et que quelqu’un s’avise le premier d’exprimer. Un bon mot n’est bon mot qu’en ce qu’il dit une chose que chacun pensoit, et qu’il la dit d’une manière vive, fine et nouvelle. Considérons, par exemple, cette réplique si fameuse de Louis douzième à ceux de ses ministres qui lui conseilloient de faire punir plusieurs personnes qui, sous le règne précédent, et lorsqu’il n’étoit encore que duc d’Orléans, avoient pris à tâche de le desservir : « Un roi de France, leur répondit-il, ne venge point les injures d’un duc d’Orléans. » D’où vient que ce mot frappe d’abord ? N'est-il pas aisé de voir que c’est parce qu’il présente aux yeux une vérité que