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Fait tomber à deux mains l’effroyable tonnerre.
Les guerriers, de ce coup, vont mesurer la terre,
Et, du bois et des clous meurtris et déchirés,
Longtemps, loin du perron, roulent sur les degrés.
LoAu spectacle étonnant de leur chute imprévue,
Le prélat pousse un cri qui pénétre la nue.
Il maudit dans son cœur le démon des combats.
Et de l’horreur du coup il recule six pas.
Mais bientôt rappelant son antique prouesse,
Il tire du manteau sa dextre vengeresse ;
Il part, et, de ses doigts saintement allongés,
Bénit tous les passans, en deux files rangés.
Il sait que l’ennemi, que ce coup va surprendre,
Désormais sur ses pieds ne l’oseroit attendre,
Et déjà voit pour lui tout le peuple en courroux
Crier aux combattans : « Profanes, à genoux ! »
Le chantre, qui de loin voit approcher l’orage,
Dans son cœur éperdu cherche en vain du courage :
Sa fierté l’abandonne, il tremble, il cède, il fuit.
Le long des sacrés murs sa brigade le suit :
Tout s’écarte à l’instant ; mais aucun n’en réchappe ;
Partout le doigt vainqueur les suit et les rattrape.
Evrard seul, en un coin prudemment retiré,
Se croyoit à couvert de l’insulte sacré ;
Mais le prélat vers lui fait une marche adroite :
Il l’observe de l’œil ; et tirant vers la droite,
Tout d’un coup tourne à gauche, et d’un bras fortuné
Bénit subitement le guerrier consterné[1].
Le chanoine, surpris de la foudre mortelle,
Se dresse, et lève en vain une tête rebelle ;
Sur ses genoux tremblans il tombe à cet aspect,

  1. Allusion au coadjuteur de Retz, qui au temps de la Fronde sut bénir à l’improviste le prince de Condé.