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Quand Brontin à Boirude adresse ce discours :
« Illustre porte-croix, par qui notre bannière
N’a jamais en marchant fait un pas en arrière,
Un chanoine lui seul triomphant du prélat
Du rochet a nos yeux ternira-t-il l’éclat ?
Non, non : pour te couvrir de sa main redoutable,
Accepte de mon corps l’épaisseur favorable.
Viens, et, sous ce rempart, à ce guerrier hautain
Fais voler ce Quinault qui me reste à la main. »
À ces mots, il lui tend le doux et tendre ouvrage :
Le sacristain, bouillant de zèle et de courage,
Le prend, se cache, approche, et, droit entre les yeux,
Frappe du noble écrit l’athlète audacieux ;
Mais c’est pour l’ébranler une foible tempête,
Le livre sans vigueur mollit contre sa tête.
Le chanoine les voit ; de colère embrasé :
« Attendez, leur dit-il, couple lâche et rusé,
Et jugez si ma main, aux grands exploits novice,
Lance à mes ennemis un livre qui mollisse. »
À ces mots il saisit un vieil Infortiat[1],
Grossi des visions d’Accurse[2] et d’Alciat[3],
Inutile ramas de gothique écriture,
Dont quatre ais mal unis formoient la couverture,
Entourée à demi d’un vieux parchemin noir,
Où pendoit à trois clous un reste de fermoir.
Sur l’ais qui le soutient auprès d’un Avicenne[4],
Deux des plus forts mortels l’ébranleroient à peine :
Le chanoine pourtant l’enlève sans effort ;
Et, sur le couple pâle et déjà demi-mort,

  1. Livre de droit d’une grosseur énorme. (B.) — On avait donné le nom barbare d’Infortiat (Infortiatum) à la seconde partie du Digeste.
  2. Accurse (Francesco Accorso), commentateur du Droit romain.
  3. Poëte latin et jurisconsulte du seizième siècle.
  4. Auteur arabe.