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Abat l’honneur naissant des rameaux fructueux.
Chacun s’arme au hasard du livre qu’il rencontre :
L’un tient l’Edit d’amour, l’autre en saisit la Montre.
L’un prend le seul Jonas qu’on ait vu relié ;
L’autre, un Tasse françois[1], en naissant oublié.
L’élève de Barbin, commis à la boutique,
Veut en vain s’opposer à leur fureur gothique :
Les volumes, sans choix à la tête jetés,
Sur le perron poudreux volent de tous côtés.
Là, près d’un Guarini[2] Térence tombe à terre ;
Là, Xénophon dans l’air heurte contre un La Serre.
Oh ! que d’écrits obscurs, de livres ignorés,
Furent en ce grand jour de la poudre tirés !
Vous en fûtes tirés, Almerinde et Simandre[3];
Et toi, rebut du peuple, inconnu Caloandre[4],
Dans ton repos, dit-on, saisi par Gaillerbois[5],
Tu vis le jour alors pour la première fois.
Chaque coup sur la chair laisse une meurtrissure ;
Déjà plus d’un guerrier se plaint d’une blessure.

  1. Boileau lance ici un trait épigrammatique à chacun de ces auteurs, ennemis du goût et du bon sens, qu’il n’a cessé de poursuivre. L'Edit d’amour est de Regnier-Desmarais, alors académicien, et qui devint plus tard secrétaire perpétuel de l’Académie. La Montre est du Marseillais Bonnecorse, qui, pour se venger de cette attaque, publia une parodie du Lutrin sous le nom de Lutrigol. Le Jonas, ce poëme si souvent ridiculisé, de Coras. Le Tasse français était une traduction faite par Michel Leclerc, académicien, qui composa en collaboration avec Coras la tragédie d’Iphigénie, connue seulement par une épigramme de Racine.
  2. Auteur du Pastor fido, mort en 1612 à Venise.
  3. Almerinde et Simandre, traduction d’un roman italien de Luca Assarino.
  4. Roman italien, traduit par Scudéri.
  5. Pierre Tardieu, sieur de Gaillerbois, avait été chanoine de la Sainte-Chapelle : il était frère du lieutenant criminel Tardieu, si fameux par son avarice et par sa mort tragique. Voyez t. I, satire X.