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« La voilà donc, Girot, cette hydre épouvantable
Que m’a fait voir un songe, hélas ! trop véritable !
Je le vois ce dragon tout prêt à m’égorger,
Ce pupitre fatal qui me doit ombrager !
Prélat, que t’ai-je fait ? quelle rage envieuse
Rend pour me tourmenter ton âme ingénieuse ?
Quoi, même dans ton lit, cruel, entre deux draps,
Ta profane fureur ne se repose pas !
Ô ciel ! quoi ! sur mon banc une honteuse masse
Désormais me va faire un cachot de ma place !
Inconnu dans l’église, ignoré dans ce lieu,
Je ne pourrai donc plus être vu que de Dieu !
Ah ! plutôt qu’un moment cet affront m’obscurcisse,
Renonçons à l’autel, abandonnons l’office ;
Et, sans lasser le ciel par des chants superflus,
Ne voyons plus un chœur où l’on ne vous voit plus.
Sortons… Mais cependant mon ennemi tranquille
Jouira sur son banc de ma rage inutile,
Et verra dans le chœur le pupitre exhaussé
Tourner sur le pivot où sa main l’a placé !
Non, s’il n’est abattu, je ne saurois plus vivre.
A moi, Girot, je veux que mon bras m’en délivre.
Périssons, s’il le faut ; mais de ses ais brisés
Entraînons, en mourant, les restes divisés. »
À ces mots, d’une main par la rage affermie,
Il saisissoit déjà la machine ennemie,
Lorsqu’en ce sacré lieu, par un heureux hasard,
Entrent Jean le choriste, et le sonneur Girard[1],
Deux Manceaux renommés, en qui l’expérience

  1. Le sonneur Girard est un personnage réel et d’une rare intrépidité. Boileau l’avait vu plus d’une fois monté sur les rebords du toit de la Sainte-Chapelle, débouchant et vidant une bouteille de vin. Ce téméraire sonneur se noya dans la Seine qu’il avait parié de traverser huit fois à la nage.