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Mais déjà la fureur dans vos yeux étincelle :
Marchez, courez, volez où l’honneur vous appelle.
Que le prélat, surpris d’un changement si prompt,
Apprenne la vengeance aussitôt que l’affront. »
ApEn achevant ces mots, la déesse guerrière
De son pied trace en l’air un sillon de lumière,
Rend aux trois champions leur intrépidité,
Et les laisse tout pleins de sa divinité.
C’est ainsi, grand Condé, qu’en ce combat célèbre[1],
Où ton bras fit trembler le Rhin, l’Escaut et l’Èbre,
Lorsqu’aux plaines de Lens nos bataillons poussés
Furent presque à tes yeux ouverts et renversés,
Ta valeur, arrêtant les troupes fugitives,
Rallia d’un regard leurs cohortes craintives,
Répandit dans leurs rangs ton esprit belliqueux,
Et força la victoire à te suivre avec eux.
EtLa colère à l’instant succédant à la crainte,
Ils rallument le feu de leur bougie éteinte :
Ils rentrent ; l’oiseau sort ; l’escadron raffermi
Rit du honteux départ d’un si foible ennemi.
Aussitôt dans le chœur la machine emportée
Est sur le banc du chantre à grand bruit remontée,
Ses ais demi-pourris, que l’âge a relâches,
Sont à coups de maillet unis et rapprochés.
Sous les coups redoublés tous les bancs retentissent ;
Les murs en sont émus ; les voûtes en mugissent,
Et l’orgue même en pousse un long gémissement.
EtQue fais-tu, chantre, hélas ! dans ce triste moment ?
Tu dors d’un profond somme, et ton cœur sans alarmes
Ne sait pas qu’on bâtit l’instrument de tes larmes !

  1. En 1649. (B.) — La date 1649 est inexacte, la bataille de Lens fut gagnée par le prince de Condé contre les Espagnols et les Allemands, le 20 août 1648.