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Prend un cierge en sa main, et, d’une voix cassée,
Vient ainsi gourmander la troupe terrassée :
« Lâches, où fuyez-vous ? quelle peur vous abat ?
Aux cris d’un vil oiseau vous cédez, sans combat !
Où sont ces beaux discours jadis si pleins d’audace ?
Craignez-vous d’un hibou l’impuissante grimace ?
Que feriez-vous, hélas ! si quelque exploit nouveau
Chaque jour, comme moi, vous traînoit au barreau ;
S’il falloit, sans amis, briguant une audience,
D’un magistrat glacé soutenir la présence,
Ou, d’un nouveau procès hardi solliciteur,
Aborder sans argent un clerc de rapporteur ?
Croyez-moi, mes enfans, je vous parle à bon titre :
J’ai moi seul autrefois plaidé tout un chapitre ;
Et le barreau n’a point de monstres si hagards,
Dont mon œil n’ait cent fois soutenu les regards.
Tous les jours sans trembler j’assiégeois leurs passages.
L’Église étoit alors fertile en grands courages :
Le moindre d’entre nous, sans argent, sans appui,
Eût plaidé le prélat et le chantre avec lui.
Le monde, de qui l’âge avance les ruines,
Ne peut plus enfanter de ces âmes divines[1] ;
Mais que vos cœurs, du moins, imitant leurs vertus,
De l’aspect d’un hibou ne soient pas abattus.
Songez quel déshonneur va souiller votre gloire,
Quand le chantre demain entendra sa victoire.
Vous verrez tous les jours le chanoine insolent,
Au seul mot de hibou vous sourire en parlant.
Votre âme, à ce penser, de colère murmure ;
Allez donc de ce pas en prévenir l’injure ;
Méritez les lauriers qui vous sont réservés,
Et ressouvenez-vous quel prélat vous servez.

  1. Iliade, livre I, discours de Nestor.