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Tel le fougueux prélat, que ce songe épouvante,
Querelle en se levant et laquais et servante ;
Et, d’un juste courroux rallumant sa vigueur,
Même avant le dîner parle d’aller au chœur.
Le prudent Gilotin, son aumônier fidèle[1],
En vain par ses conseils sagement le rappelle ;
Lui montre le péril ; que midi va sonner ;
Qu’il va faire, s’il sort, refroidir le dîner.
Qu« Quelle fureur, dit-il, quel aveugle caprice,
Quand le dîner est prêt, vous appelle à l’office ?
De votre dignité soutenez mieux l’éclat :
Est-ce pour travailler que vous êtes prélat ?
À quoi bon ce dégoût et ce zèle inutile ?
Est-il donc pour jeûner quatre-temps ou vigile ?
Reprenez vos esprits, et souvenez-vous bien
Qu’un dîner réchauffé ne valut jamais rien. »
QuAinsi dit Gilotin ; et ce ministre sage
Sur table, au même instant, fait servir le potage.
Le prélat voit la soupe, et plein d’un saint respect,
Demeure quelque temps muet à cet aspect.
Il cède, il dîne enfin ; mais, toujours plus farouche,
Les morceaux trop hâtés se pressent dans sa bouche.
Gilotin en gémit, et, sortant, de fureur,
Chez tous ses partisans va semer la terreur.
On voit courir chez lui leurs troupes éperdues,
Comme l’on voit marcher des bataillons de grues[2],
Quand le Pygmée altier, redoublant ses efforts,
De l’Hèbre[3] ou du Strymon[4] vient d’occuper les bords

  1. Le véritable nom de ce personnage était Gueronnet. Le trésorier lui donna depuis la cure de la Sainte-Chapelle.
  2. Imitation d’un passage d’Homère au commencement du livre III de l’Iliade.
  3. Fleuve de Thrace.
  4. Fleuve de l’ancienne Thrace.