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soit véritablement attaqué. Un prodigue ne s’avise guère de s’offenser de voir rire d’un avare, ni un dévot de voir tourner en ridicule un libertin. Je ne dirai point comment je fus engagé à travailler à cette bagatelle sur une espèce de défi, qui me fut fait en riant par feu M. le premier président de Lamoignon, qui est celui que j’y peins sous le nom d’Ariste. Ce détail, à mon avis, n’est pas fort nécessaire. Mais je croirois me faire un trop grand tort si je laissois échapper cette occasion d’apprendre à ceux qui l’ignorent, que ce grand personnage, durant sa vie, m’a honoré de son amitié. Je commençai à le connoître dans le temps que mes satires faisoient le plus de bruit ; et l’accès obligeant qu’il me donna dans son illustre maison fit avantageusement mon apologie contre ceux qui vouloient m’accuser alors de libertinage et de mauvaises mœurs. C’étoit un homme d’un savoir étonnant, et passionné admirateur de tous les bons livres de l’antiquité ; et c’est ce qui lui fit plus aisément souffrir mes ouvrages, où il crut entrevoir quelque goût des anciens. Comme sa piété étoit sincère, elle étoit aussi fort gaie, et n’avoit rien d’embarrassant. Il ne s’effraya point du nom de satires que portoient ces ouvrages, où il ne vit en effet que des vers et des auteurs attaqués. Il me loua même plusieurs fois d’avoir purgé, pour ainsi dire, ce genre de poésie de la saleté qui lui avoit été jusqu’alors comme affectée. J’eus donc le bonheur de ne lui être pas désagréable. Il m’appela à tous ses plaisirs et à tous ses divertissemens, c’est-à-dire à ses lectures et