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EtUn cœur noble est content de ce qu’il trouve en lui,
Et ne s’applaudit point des qualités d’autrui.
Que me sert en effet qu’un admirateur fade
Vante mon embonpoint, si je me sens malade ;
Si dans cet instant même un feu séditieux
Fait bouillonner mon sang et pétiller mes yeux ?
Rien n’est beau que le vrai : le vrai seul est aimable ;
Il doit régner partout, et même dans la fable.
De toute fiction l’adroite fausseté
Ne tend qu’à faire aux yeux briller la vérité.
NeSais-tu pourquoi mes vers sont lus dans les provinces,
Sont recherchés du peuple, et reçus chez les princes ?
Ce n’est pas que leurs sons, agréables, nombreux,
Soient toujours à l’oreille également heureux ;
Qu’en plus d’un lieu le sens n’y gêne la mesure,
Et qu’un mot quelquefois n’y brave la césure :
Mais c’est qu’en eux le vrai, du mensonge vainqueur,
Partout se montre aux yeux, et va saisir le cœur ;
Que le bien et le mal y sont prisés au juste ;
Que jamais un faquin n’y tint un rang auguste ;
Et que mon cœur, toujours conduisant mon esprit,
Ne dit rien aux lecteurs, qu’à soi-même il n’ait dit.
Ma pensée au grand jour partout s’offre et s’expose,
Et mon vers, bien ou mal, dit toujours quelque chose.
C’est par là quelquefois que ma rime surprend ;
C’est là ce que n’ont point Jonas ni Childebrand[1]
Ni tous ces vains amas de frivoles sornettes,
Montre, Miroir d’amour, Amitiés ; Amourettes[2],
Dont le titre souvent est l’unique soutien,
Et qui, parlant beaucoup ne disent jamais rien.

  1. Jonas, poëme de Coras ; Childebrand, poëme de Sainte-Garde.
  2. La Montre, mélange de vers et de prose, par Bonnecorse ; le Miroir d’amour, ou la Métamorphose d’Oronte en miroir, conte de
    Charles Perrault ; Amitiés, Amours et Amourettes, par Le Pays.