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Et, fiers du haut étage où La Serre[1] les loge,
Avalent sans dégoût le plus grossier éloge.
Tu ne te repais point d’encens à si bas prix.
Non que tu sois pourtant de ces rudes esprits
Qui regimbent toujours, quelque main qui les flatte :
Tu souffres la louange adroite et délicate,
Dont la trop forte odeur n’ébranle point les sens ;
Mais un auteur novice à répandre l’encens
Souvent à son héros, dans un bizarre ouvrage,
Donne de l’encensoir au travers du visage,
Va louer Monterey[2] d’Oudenarde forcé[3],
Ou vante aux Électeurs Turenne repoussé[4].
Tout éloge imposteur blesse une âme sincère.
Si, pour faire sa cour à ton illustre père,
Seignelay, quelque auteur, d’un faux zèle emporté,
Au lieu de peindre en lui la noble activité,
La solide vertu, la vaste intelligence,
Le zèle pour son roi, l’ardeur, la vigilance,
La constante équité, l’amour pour les beaux-arts,
Lui donnoit les vertus d’Alexandre ou de Mars ;
Et, pouvant justement l’égaler à Mécène,
Le comparoit au fils de Pelée[5] ou d’Alemène[6]:
Ses yeux, d’un tel discours foiblement éblouis,
Bientôt dans ce tableau reconnoîtroient Louis ;
Et, glaçant d’un regard la muse et le poëte,
Imposeroient silence à sa verve indiscrète.

  1. La Serre composait, sous le titre de Portraits, des éloges en vers et en prose.
  2. Gouverneur des Pays-Bas.
  3. Monterey avait assiégé Oudenarde ; Condé le força de lever le siège avec précipitation le 12 septembre 1674.
  4. Turenne, au contraire, avait battu l’armée des Électeurs à Turckheim, le 5 janvier 1675.
  5. Achille.
  6. Hercule.