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Qu’ils charment de Senlis le poëte idiot[1],
Ou le sec traducteur du françois d’Amyot[2] :
Pourvu qu’avec éclat leurs rimes débitées
Soient du peuple, des grands, des provinces goûtées ;
Pourvu qu’ils puissent plaire au plus puissant des rois,
Qu’à Chantilli Condé les souffre quelquefois ;
Qu’Enghien en soit touché ; que Colbert et Vivonne,
Que La Rochefoucauld, Marsillac et Pomponne[3],
Et mille autres qu’ici je ne puis faire entrer,
A leurs traits délicats se laissent pénétrer ?
Et plût au ciel encor, pour couronner l’ouvrage,
Que Montausier voulût leur donner son suffrage !
QuC’est à de tels lecteurs que j’offre mes écrits ;
Mais pour un tas grossier de frivoles esprits,
Admirateurs zélés de toute œuvre insipide,
Que non loin de la place où Brioché[4] préside,
Sans chercher dans les vers ni cadence ni son,
Il s’en aille admirer le savoir de Pradon !

  1. Linière.
  2. Le sec traducteur d’Amyot est l’abbé Tallemant qui gâta plus souvent, dans sa version des Vies de Plutarque, l’excellente traduction d’Amyot qu’il ne la rajeunit.
  3. Les grands seigneurs que nomme ici Boileau étaient pour lui dis amis sincères et des juges éclairés. La Rochefoucauld est l’auteur des Maximes, Marsillac est son fils. Pomponne, fils d’Arnauld d’Andilly, et neveu d’Antoine Arnauld le théologien janséniste, était un homme de goût, qui mourut ministre d’État en 1699.
  4. Fameux joueur de marionnettes qui donnait ses représentations près du Pont-Neuf, au bas de la rue Guénégaud.