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Gu« Oh ! que si cet hiver un rhume salutaire,
Guérissant de tous maux mon avare beau-père,
Pouvoit, bien confessé, l’étendre en un cercueil,
Et remplir sa maison d’un agréable deuil !
Que mon âme, en ce jour de joie et d’opulence,
D’un superbe convoi plaindroit peu la dépense ! »
Disoit le mois passé, doux, honnête et soumis,
L’héritier affamé de ce riche commis
Qui, pour lui préparer cette douce journée,
Tourmenta quarante ans sa vie infortunée.
La mort vient de saisir le vieillard catarrheux :
Voilà son gendre riche ; en est-il plus heureux ?
Tout fier du faux éclat de sa vaine richesse,
Déjà nouveau seigneur il vante sa noblesse.
Quoique fils de meunier, encor blanc du moulin,
Il est prêt à fournir ses titres en vélin.
En mille vains projets à toute heure il s’égare.
Le voilà fou, superbe, impertinent, bizarre,
Rêveur, sombre, inquiet, à soi-même ennuyeux.
Il vivroit plus content, si, comme ses aïeux,
Dans un habit conforme à sa vraie origine,
Sur le mulet encore il chargeoit la farine.
Mais ce discours n’est pas pour le peuple ignorant,
Que le faste éblouit d’un bonheur apparent.
L’argent, l’argent, dit-on ; sans lui tout est stérile :
La vertu sans l’argent n’est qu’un meuble inutile.
L’argent en honnête homme érige un scélérat ;
L’argent seul au palais peut faire un magistrat[1].
Qu’importe qu’en tous lieux on me traite d’infâme ?
Dit ce fourbe sans foi, sans honneur et sans âme ;
Dans mon coffre tout plein de rares qualités,
J’ai cent mille vertus en louis bien comptés.

  1. On achetait alors les charges de juge.