Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ou que Bernier[1] compose et le sec et l’humide
Des corps ronds et crochus errant parmi le vide :
Pour moi, sur cette mer qu’ici-bas nous courons,
Je songe à me pourvoir d’esquif et d’avirons,
À régler mes désirs, à prévenir l’orage,
Et sauver, s’il se peut, ma raison du naufrage.
EtC’est au repos d’esprit que nous aspirons tous ;
Mais ce repos heureux se doit chercher en nous.
Un fou, rempli d’erreurs, que le trouble accompagne,
Et malade à la ville ainsi qu’à la campagne,
En vain monte à cheval pour tromper son ennui ;
Le chagrin monte en croupe, et galope avec lui.
Que crois-tu qu’Alexandre, en ravageant la terre,
Cherche parmi l’horreur, le tumulte et la guerre ?
Possédé d’un ennui qu’il ne saurait dompter,
Il craint d’être à soi-même, et songe à s’éviter.
C’est là ce qui l’emporte aux lieux où naît l’Aurore,
Où le Perse est brûlé de l’astre qu’il adore.
De nos propres malheurs auteurs infortunés,
Nous sommes loin de nous à toute heure entraînés.
À quoi bon ravir l’or au sein du nouveau monde ?
Le bonheur tant cherché sur la terre et sur l’onde
Est ici comme aux lieux où mûrit le coco.
Et se trouve à Paris de même qu’à Cusco[2] :
On ne le tire point des veines du Potose[3].
Qui vit content de rien possède toute chose.
Mais, sans cesse ignorans de nos propres besoins,
Nous demandons au ciel ce qu’il nous faut le moins.

  1. Bernier, voyageur célèbre, élève de Gassendi, avait composé un abrégé de la philosophie de ce maître.
  2. Cusco, capitale du Pérou sous les Incas. La capitale actuelle est Lima.
  3. Montagne où se trouvent des mines d’argent.