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Il voit cent bataillons qui, loin de se défendre,
Attendent sur des murs l’ennemi pour se rendre.
Confus, il les aborde ; et renforçant sa voix :
« Grands arbitres, dit-il, des querelles des rois,
Est-ce ainsi que votre âme, aux périls aguerrie,
Soutient sur ces remparts l’honneur et la patrie[1] ?
Votre ennemi superbe, en cet instant fameux,
Du Rhin, près de Tholus, fend les flots écumeux :
Du moins en vous montrant sur la rive opposée,
N’oseriez-vous saisir une victoire aisée ?
Allez, vils combattans, inutiles soldats ;
Laissez là ces mousquets trop pesans pour vos bras :
Et, la faux à la main, parmi vos marécages,
Allez couper vos joncs et presser vos laitages ;
Ou, gardant les seuls bords qui vous peuvent couvrir,
Avec moi, de ce pas, venez vaincre ou mourir. »
AvCe discours d’un guerrier que la colère enflamme
Ressuscite l’honneur déjà mort en leur âme ;
Et, leurs cœurs s’allumant d’un reste de chaleur,
La honte fait en eux l’effet de la valeur.
Ils marchent droit au fleuve, où Louis en personne,
Déjà prêt à passer, instruit, dispose, ordonne.
Par son ordre Gramont[2] le premier dans les flots
S’avance soutenu des regards du héros :
Son coursier écumant sous son maître intrépide
Nage tout orgueilleux de la main qui le guide.
Revel le suit de près : sous ce chef redouté
Marche des cuirassiers l’escadron indompté.

  1. Les drapeaux hollandais avaient pour devise :
    Pro honore et patria.
  2. M. le comte de Guiche, lieutenant général, fils du maréchal de Gramont.