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Qui toutes accourant vers leur humide roi,
Par un récit affreux redoublent son effroi.
Il apprend qu’un héros, conduit par la victoire,
A de ses bords fameux flétri l’antique gloire ;
Que Rhinberg et Wesel, terrassés en deux jours,
D’un joug déjà prochain menacent tout son cours.
« Nous l’avons vu, dit l’une, affronter la tempête
De cent foudres d’airain tournés contre sa tête.
Il marche vers Tholus, et tes flots en courroux
Au prix de sa fureur sont tranquilles et doux.
Il a de Jupiter la taille et le visage ;
Et, depuis ce Romain[1], dont l’insolent passage
Sur un pont en deux jours trompa tous tes efforts,
Jamais rien de si grand n’a paru sur tes bords. »
JaLe Rhin tremble et frémit à ces tristes nouvelles ;
Le feu sort à travers ses humides prunelles.
« C’est donc trop peu, dit-il, que l’Escaut en deux mois
Ait appris à couler sous de nouvelles lois ;
Et de mille remparts mon onde environnée
De ces fleuves sans nom suivra la destinée !
Ah ! périssent mes eaux ! ou par d’illustres coups
Montrons qui doit céder des mortels ou de nous. »
MoÀ ces mots essuyant sa barbe limoneuse,
Il prend d’un vieux guerrier la figure poudreuse,
Son front cicatricé[2] rend son air furieux ;
Et l’ardeur du combat étincelle en ses yeux.
En ce moment il part ; et, couvert d’une nue,
Du fameux fort de Skink prend la route connue.
Là, contemplant son cours, il voit de toutes parts
Ses pâles défenseurs par la frayeur épars ;

  1. Jules César.
  2. Boileau a écrit cicatricé et non cicatrisé, qui se dit d’une plaie qui se ferme, tandis qu’ici cicatricé veut dire couvert de cicatrices.