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BOILEAU.

Près d’embrasser l’Église, au prêche les rappelle ?
Non, ne crois pas que Claude, habile à se tromper,
Soit insensible aux traits dont tu le sais frapper ;
Mais un démon l’arrête, et, quand ta voix l’attire,
Lui dit : « Si tu te rends, sais-tu ce qu’on va dire ? »
Dans son heureux retour lui montre un faux malheur,
Lui peint de Charenton[1] l’hérétique douleur ;
Et, balançant Dieu même en son âme flottante,
Fait mourir dans son cœur la vérité naissante.
FaDes superbes mortels le plus affreux lien,
N’en doutons point, Arnauld, c’est la honte du bien,
Des plus nobles vertus cette adroite ennemie
Peint l’honneur à nos yeux des traits de l’infamie,
Asservit nos esprits sous un joug rigoureux,
Et nous rend l’un de l’autre esclaves malheureux.
Par elle la vertu devient lâche et timide.
Vois-tu ce libertin en public intrépide,
Qui prêche contre un Dieu que dans son âme il croit ?
Il iroit embrasser la vérité qu’il voit ;
Mais de ses faux amis il craint la raillerie,
Et ne brave ainsi Dieu que par poltronnerie.
EtC’est là de tous nos maux le fatal fondement.
Des jugemens d’autrui nous tremblons follement ;
Et, chacun l’un de l’autre adorant les caprices,
Nous cherchons hors de nous nos vertus et nos vices.
Misérables jouets de notre vanité,
Faisons au moins l’aveu de notre infirmité.
À quoi bon, quand la fièvre en nos artères brûle,
Faire de notre mal un secret ridicule ?
Le feu sort de vos yeux petillans et troublés,

  1. Claude avait eu dans son église de Charenton une célèbre conférence religieuse avec Bossuet, qui l’avait défié de contester aucune de ses propositions.