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Mais enfin l’indigence amenant la bassesse,
Le Parnasse oublia sa première noblesse,
Un vil amour du gain, infectant les esprits,
De mensonges grossiers souilla tous les écrits ;
Et partout, enfantant mille ouvrages frivoles,
Trafiqua du discours et vendit les paroles.
TrNe vous flétrissez point par un vice si bas.
Si l’or seul a pour vous d’invincibles appas,
Fuyez ces lieux charmans qu’arrose le Permesse :
Ce n’est point sur ses bords qu’habite la richesse.
Aux plus savans auteurs, comme aux plus grands guerriers,
Apollon ne promet qu’un nom et des lauriers.
ApMais quoi ! dans la disette une muse affamée
Ne peut pas, dira-t-on, subsister de fumée ;
Un auteur qui, pressé d’un besoin importun,
Le soir entend crier ses entrailles à jeun,
Goûte peu d’Hélicon les douces promenades :
Horace a bu son soûl quand il voit les Ménades ;
Et, libre du souci qui trouble Colletet[1],
N’attend pas pour dîner le succès d’un sonnet.
N’Il est vrai : mais enfin cette affreuse disgrâce
Rarement parmi nous afflige le Parnasse.
Et que craindre en ce siècle, où toujours les beaux-arts
D’un astre favorable éprouvent les regards,
Ou d’un prince éclairé la sage prévoyance
Fait partout au mérite ignorer l’indigence !
FaMuses, dictez sa gloire à tous vos nourrissons :
Son nom vaut mieux pour eux que toutes vos leçons.
Que Corneille, pour lui rallumant son audace,
Soit encor le Corneille et du Cid et d’Horace ;
Que Racine, enfantant des miracles nouveaux,

  1. Colletet était un poète malheureux qui n’était pas toujours assuré de pouvoir dîner. Son père cependant avait mieux réussi. Il fut remarqué par Richelieu et avait été de l’Académie française.