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Dans leur faux zèle iront chasser l’allégorie.
Laissons-les s’applaudir de leur pieuse erreur.
Mais, pour nous, bannissons une vaine terreur,
Et, fabuleux chrétiens, n’allons point, dans nos songes,
Du Dieu de vérité faire un Dieu de mensonges.
DuLa fable offre à l’esprit mille agréments divers :
Là tous les noms heureux semblent nés pour les vers,
Ulysse, Agamemnon, Oreste, Idoménée,
Hélène, Ménélas, Pâris, Hector, Énée.
Ô le plaisant projet d’un poëte ignorant,
Qui de tant de héros va choisir Childebrand[1] !
D’un seul nom quelquefois le son dur ou bizarre
Rend un poème entier ou burlesque ou barbare.
ReVoulez-vous longtemps plaire et jamais ne lasser ?
Faites choix d’un héros propre à m’intéresser,
En valeur éclatant, en vertus magnifique :
Qu’en lui, jusqu’aux défauts, tout se montre héroïque ;
Que ses faits surprenans soient dignes d’être ouïs ;
Qu’il soit tel que César, Alexandre ou Louis,
Non tel que Polynice et son perfide frère[2];
On s’ennuie aux exploits d’un conquérant vulgaire.
OnN’offrez point un sujet d’incidens trop chargé.
Le seul courroux d’Achille, avec art ménagé,
Remplit abondamment une Iliade entière :
Souvent trop d’abondance appauvrit la matière.
SoSoyez vif et pressé dans vos narrations ;
Soyez riche et pompeux dans vos descriptions.
C’est là qu’il faut des vers étaler l’élégance ;
Y présentez jamais de basse circonstance.

  1. Poëme de Carel de Sainte-Garde. Childebrand est le héros d’un poëme de cet auteur : Les Sarrasins chassés, qui devait avoir douze chants, dont quatre seulement ont été publiés.
  2. Polynice et Étéocle, frères ennemis, auteurs de la guerre de Thèbes. Voy. Thébaïde de Stace. (B.)