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C’est Neptune en courroux qui gourmande les flots ;
Écho n’est plus un son qui dans l’air retentisse,
C’est une nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse.
Ainsi, dans cet amas de nobles fictions,
Le poëte s’égaye en mille inventions,
Orne, élève, embellit, agrandit toutes choses,
Et trouve sous sa main des fleurs toujours écloses.
Qu’Énée et ses vaisseaux, par le vent écartés,
Soient aux bords africains d’un orage emportés ;
Ce n’est qu’une aventure ordinaire et commune,
Qu’un coup peu surprenant des traits de la fortune.
Mais que Junon constante en son aversion,
Poursuive sur les flots les restes d’Ilion ;
Qu’Éole, en sa faveur, les chassant d’Italie,
Ouvre aux vents mutinés les prisons d’Ëolie ;
Que Neptune en courroux s’élevant sur la mer,
D’un mot calme les flots, mette la paix dans l’air,
Délivre les vaisseaux, des syrtes les arrache,
C’est là ce qui surprend, frappe, saisit, attache.
Sans tous ces ornemens le vers tombe en langueur,
La poésie est morte ou rampe sans vigueur.
Le poëte n’est plus qu’un orateur timide,
Qu’un froid historien d’une fable insipide.
QuC’est donc bien vainement que nos auteurs déçus[1],
Bannissant de leurs vers ces ornemens reçus,
Pensent faire agir Dieu, ses saints et ses prophètes,
Comme ces dieux éclos du cerveau des poëtes ;
Mettent à chaque pas le lecteur en enfer,
N’offrent rien qu’Astaroth, Belzébuth, Lucifer.
De la foi d’un chrétien les mystères terribles
D’ornemens égayés ne sont point susceptibles,

  1. L’auteur avoit en vue Saint-Sorlin Desmarets qui a écrit contre sa fable. (B.)