Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Par sept bouches l’Euxin reçoit le Tanaïs[1].
Tous ces pompeux amas d’expressions frivoles
Sont d’un déclamateur amoureux des paroles.
Il faut dans la douleur que vous vous abaissiez.
Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez.
Ces grands mots dont alors l’acteur emplit sa bouche
Ne partent point d’un cœur que sa misère touche.
NeLe théâtre, fertile en censeurs pointilleux,
Chez nous pour se produire est un champ périlleux.
Un auteur n’y fait pas de faciles conquêtes ;
Il trouve à le siffler des bouches toujours prêtes.
Chacun le peut traiter de fat et d’ignorant ;
C’est un droit qu’à la porte on achète en entrant.
Il faut qu’en cent façons, pour plaire, il se replie ;
Que tantôt il s’élève et tantôt s’humilie ;
Qu’en nobles sentimens il soit partout fécond ;
Qu’il soit aisé, solide, agréable, profond ;
Que de traits surprenans sans cesse il nous réveille ;
Qu’il coure dans ses vers de merveille en merveille,
Et que tout ce qu’il dit, facile à retenir,
De son ouvrage en nous laisse un long souvenir.
Ainsi la tragédie agit, marche et s’explique.
AiD’un air plus grand encor la poésie épique,
Dans le vaste récit d’une longue action,
Se soutient par la fable, et vit de fiction.
Là pour nous enchanter tout est mis en usage ;
Tout prend un corps, une âme, un esprit, un visage.
Chaque vertu devient une divinité :
Minerve est la prudence, et Vénus la beauté.
Ce n’est plus la vapeur qui produit le tonnerre,
C’est Jupiter armé pour effrayer la terre ;
Un orage terrible aux yeux des matelots,

  1. Allusion à la première scène de la Troade, tragédie de Sénèque.