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SATIRE XII.

De tes dogmes trompeurs nourrissant son idée,
Oublia la douceur aux chrétiens commandée,
Et crut, pour venger Dieu de ses fiers ennemis,
Tout ce que Dieu défend légitime et permis.
Au signal tout à coup donné pour le carnage[1],
Dans les villes, partout, théâtres de leur rage,
Cent mille faux zélés, le fer en main courans,
Allèrent attaquer leurs amis, leurs parens ;
Et, sans distinction, dans tout sein hérétique
Pleins de joie enfoncer un poignard catholique.
Car quel lion, quel tigre égale en cruauté
Une injuste fureur qu’arme la piété ?
UnCes fureurs, jusqu’ici du vain peuple admirées,
Étoient pourtant toujours de l’Église abhorrées ;
Et, dans ton grand crédit pour te bien conserver,
Il falloit que le ciel parût les approuver :
Ce chef-d’œuvre devoit couronner ton adresse.
Pour y parvenir donc, ton active souplesse,
Dans l’école abusant tes grossiers écrivains,
Fit croire à leurs esprits ridiculement vains
Qu’un sentiment impie, injuste, abominable,
Par deux ou trois d’entre eux réputé soutenable,
Prenoit chez eux un sceau de probabilité,
Qui même contre Dieu lui donnoit sûreté ;
Et qu’un chrétien pouvoit, rempli de confiance,
Même en le condamnant, le suivre en conscience.
C’est sur ce beau principe, admis si follement,
Qu’aussitôt tu posas l’énorme fondement
De la plus dangereuse et terrible morale
Que Lucifer, assis dans sa chaire infernale,
Vomissant contre Dieu ses monstrueux sermons,
Ait jamais enseignée aux novices démons.

  1. Nuit du 24 août 1572, massacre de la Saint-Barthelemy.