Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/206

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
196
BOILEAU.

L’humble et vraie équité fut à peine entrevue :
Et, par un sage altier, au seul faste attaché,
Le bien même accompli souvent fut un péché.
LePour tirer l’homme enfin de ce désordre extrême,
Il fallut qu’ici-bas Dieu, fait homme lui-même,
Vint du sein lumineux de l’éternel séjour
De tes dogmes trompeurs dissiper le faux jour.
A l’aspect de ce Dieu les démons disparurent ;
Dans Delphes, dans Délos, tes oracles se turent :
Tout marqua, tout sentit sa venue en ces lieux ;
L’estropié marcha, l’aveugle ouvrit les yeux.
Mais bientôt contre lui ton audace rebelle,
Chez la nation même à son culte fidèle,
De tous côtés arma tes nombreux sectateurs,
Prêtres, pharisiens, rois, pontifes, docteurs.
C’est par eux que l’on vit la vérité suprême
De mensonge et d’erreur accusée elle-même,
Au tribunal humain le Dieu du ciel traîné,
Et l’auteur de la vie à mourir condamné.
Ta fureur toutefois à ce coup fut déçue,
Et pour toi ton audace eut une triste issue
Dans la nuit du tombeau ce Dieu précipité
Se releva soudain tout brillant de clarté ;
Et partout sa doctrine en peu de temps portée
Fut du Gange et du Nil et du Tage écoutée.
Des superbes autels à leur gloire dressés
Tes ridicules dieux tombèrent renversés :
On vit en mille endroits leurs honteuses statues
Pour le plus bas usage utilement fondues ;
Et gémir vainement Mars, Jupiter, Vénus,
Urnes, vases, triépieds, vils meubles devenus.
Sans succomber pourtant tu soutins cet orage
Et, sur l’idolâtrie enfin perdant courage,
Pour embarrasser l’homme en des nœuds plus subtils,