Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
185
DISCOURS SUR LA SATIRE XII.

ce que je vais raconter. Je me promenois dans mon jardin à Auteuil, et rêvois en marchant à un poëme que je voulois faire contre les mauvais critiques de notre siècle. J’en avois même déjà composé quelques vers, dont j’étois assez content. Mais voulant continuer, je m’aperçus qu’il y avoit dans ces vers une équivoque de langue ; et m’étant sur-le-champ mis en devoir de la corriger, je n’en pus jamais venir à bout. Cela m’irrita de telle manière, qu’au lieu de m’appliquer davantage à réformer cette équivoque, et de poursuivre mon poëme contre les faux critiques, la folle pensée me vint de faire contre l’équivoque même une satire, qui pût me venger de tous les chagrins qu’elle m’a causés depuis que je me mêle d’écrire. Je vis bien que je ne rencontrerois pas de médiocres difficultés à mettre en vers un sujet si sec ; et même il s’en présenta d’abord une qui m’arrêta tout court : ce fut de savoir duquel des deux genres, masculin ou féminin, je ferois le mot d’équivoque, beaucoup d’habiles écrivains, ainsi que le remarque Vaugelas, le faisant masculin. Je me déterminai pourtant assez vite au féminin, comme au plus usité des deux : et bien loin que cela empêchât l’exécution de mon projet, je crus que ce ne seroit pas une méchante plaisanterie de commencer ma satire par cette difficulté même. C’est ainsi que je m’engageai dans la composition de cet ouvrage. Je croyois d’abord faire tout au plus cinquante ou soixante vers, mais ensuite les pensées me venant en foule, et les choses que j’avois à reprocher à l’équivoque se multipliant