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BOILEAU.

Du Tanaïs[1] au Nil porta les conquérans ;
L’ambition passa pour la vertu sublime :
Le crime heureux fut juste et cessa d’être crime :
On ne vit plus que haine et que division,
Qu’envie, effroi, tumulte, horreur, confusion.
QuLe véritable honneur sur la voûte céleste
Est enfin averti de ce trouble funeste.
Il part sans différer, et descendu des cieux,
Va partout se montrer dans les terrestres lieux :
Mais il n’y fait plus voir qu’un visage incommode ;
On n’y peut plus souffrir ses vertus hors de mode ;
Et lui-même, traité de fourbe et d’imposteur,
Est contraint de ramper aux pieds du séducteur.
Enfin, las d’essuyer outrage sur outrage,
Il livre les humains à leur triste esclavage ;
S’en va trouver sa sœur, et dès ce même jour,
Avec elle s’envole au céleste séjour.
Depuis, toujours ici riche de leur ruine,
Sur les tristes mortels le faux honneur domine,
Gouverne tout, fait tout, dans ce bas univers ;
Et peut-être est-ce lui qui m’a dicté ces vers.
Mais en fût-il l’auteur, je conclus de sa fable
Que ce n’est qu’en Dieu seul qu’est l’honneur véritable.

  1. Le Tanaïs est un fleuve du pays des Scythes.