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BOILEAU.

Et croit pouvoir au ciel, par ses folles maximes,
Comblé de sacremens faire entrer tous les crimes.
Des faux dévots pour moi voilà le vrai héros.
DeMais, pour borner enfin tout ce vague propos,
Concluons qu’ici-bas le seul honneur solide,
C’est de prendre toujours la vérité pour guide,
De regarder en tout la raison et la loi ;
D’être doux pour tout autre, et rigoureux pour soi,
D’accomplir tout le bien que le ciel nous inspire ;
Et d’être juste enfin : ce mot seul veut tout dire.
Je doute que le flot des vulgaires humains
À ce discours pourtant donne aisément les mains ;
Et, pour t’en dire ici la raison historique,
Souffre que je l’habille en fable allégorique.
SoSous le bon roi Saturne, ami de la douceur,
L’honneur, cher Valincour, et l’équité, sa sœur,
De leurs sages conseils éclairant tout le monde,
Régnoient, chéris du ciel, dans une paix profonde ;
Tout vivoit en commun sous ce couple adoré :
Aucun n’avoit d’enclos ni de champ séparé.
La vertu n’étoit point sujette à l’ostracisme[1],
Ni ne s’appeloit point alors un jansénisme.
L’honneur, beau par soi-même, et sans vains ornemens,
N’étaloit point aux yeux l’or ni les diamans ;
Et, jamais ne sortant de ses devoirs austères,
Maintenoit de sa sœur les règles salutaires.
Mais une fois au ciel par les dieux appelé,
Il demeura longtemps au séjour étoilé.
IlUn fourbe cependant, assez haut de corsage,
Et qui lui ressembloit de geste et de visage,
Prend son temps, et partout ce hardi suborneur

  1. Loi par laquelle les Athéniens avaient droit de reléguer tel de leurs concitoyens qu’ils voulaient.