Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
173
SATIRE X.

Noble, sage, modeste, humble, honnête, touchante,
N’a pas un des défauts que vous m’avez fait voir.
Si, par un sort pourtant qu’on ne peut concevoir,
La belle, tout à coup rendue insociable,
D’ange, ce sont vos mots, se transformoit en diable,
Vous me verriez bientôt, sans me désespérer,
Lui dire : Eh bien ! madame, il faut nous séparer ;
Nous ne sommes pas faits, je le vois, l’un pour l’autre.
Mon bien se monte à tant : tenez, voilà le vôtre.
Partez : délivrons-nous d’un mutuel souci.
PaAlcippe, tu crois donc qu’on se sépare ainsi ?
Pour sortir de chez toi sur cette offre offensante
As-tu donc oublié qu’il faut qu’elle y consente ?
Et crois-tu qu’aisément elle puisse quitter
Le savoureux plaisir de t’y persécuter ?
Bientôt son procureur, pour elle usant sa plume,
De ses prétentions va t’offrir un volume :
Car, grâce au droit reçu chez les Parisiens[1],
Gens de douce nature, et maris bons chrétiens,
Dans ses prétentions une femme est sans borne.
Alcippe, à ce discours je te trouve un peu morne.
Des arbitres, dis-tu, pourront nous accorder,
Des arbitres !… Tu crois l’empêcher de plaider[2] !
Sur ton chagrin déjà contente d’elle-même,
Ce n’est point tous ses droits, c’est le procès qu’elle aime.
Pour elle un bout d’arpent qu’il faudra disputer
Vaut mieux qu’un fief entier acquis sans contester.
Avec elle il n’est point de droit qui s’éclaircisse,
Point de procès si vieux qui ne se rajeunisse ;
Et sur l’art de former un nouvel embarras,
Devant elle Rolet mettroit pavillon bas.

  1. La coutume de Paris était favorable aux femmes.
  2. Ce portrait de la plaideuse, l’un des mieux amènes, est celui de la comtesse de Crissé.