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BOILEAU.

Et croit que devant Dieu ses fréquens sacrilèges
Sont pour entrer au ciel d’assurés privilèges.
Voilà le digne fruit des soins de son docteur.
Encore est-ce beaucoup si ce guide imposteur,
Par les chemins fleuris d’un charmant quiétisme,
Tout à coup l’amenant au vrai molinosisme[1],
Il ne lui fait bientôt, aidé de Lucifer,
Goûter en paradis les plaisirs de l’enfer.
Mais dans ce doux état, molle, délicieuse,
La hais-tu plus, dis-moi, que cette bilieuse
Qui, follement outrée en sa sévérité,
Baptisant son chagrin du nom de piété,
Dans sa charité fausse où l’amour-propre abonde,
Croit que c’est aimer Dieu que haïr tout le monde ?
Il n’est rien où d’abord son soupçon attaché
Ne présume du crime et ne trouve un péché.
Pour une fille honnête et pleine d’innocence
Croit-elle en ses valets voir quelque complaisance ?
Réputés criminels, les voilà tous chassés,
Et chez elle à l’instant par d’autres remplacés.
Son mari, qu’une affaire appelle dans la ville,
Et qui chez lui sortant a tout laissé tranquille,
Se trouve assez surpris, rentrant dans la maison,
De voir que le portier lui demande son nom ;
Et que, parmi ses gens, changés en son absence,
Il cherche vainement quelqu’un de connoissance.
Fort bien ! le trait est bon ! dans les femmes, dis-tu,
Enfin vous n’approuvez ni vice ni vertu.
Voilà le sexe peint d’une noble manière :

  1. Miguel Molinos, né dans le diocèse de Saragosse en 1627, mourut à Rome, dans la prison de l’inquisition, en 1696. On avait condamné soixante-huit propositions extraites de son livre intitule : la Guide spirituelle.
    Molinos est le chef de la secte des quiétistes.