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SATIRE X.
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Je le veux croire ainsi. Mais, la chasteté même
Sous ce beau nom d’épouse entrât-elle chez toi,
De retour d’un voyage, en arrivant, crois-moi,
Fais toujours du logis avertir la maîtresse.
Tel partit tout baigné des pleurs de sa Lucrèce,
Qui, faute d’avoir pris ce soin judicieux,
Trouva… tu sais. — Je sais que d’un conte odieux
Vous avez comme moi sali votre mémoire.
Mais laissons là, dis-tu, Joconde et son histoire[1] ;
Du projet d’un hymen déjà fort avancé,
Devant nous aujourd’hui criminel dénoncé,
Et mis sur la sellette aux pieds de la critique,
Je vois bien tout de bon qu’il faut que je m’explique.
JeJeune autrefois par vous dans le monde conduit,
J’ai trop bien profité pour n’être pas instruit
À quels discours malins le mariage expose :
Je sais que c’est un texte où chacun fait sa glose ;
Que de maris trompés tout rit dans l’univers,
Épigrammes, chansons, rondeaux, fables en vers,
Satire, comédie ; et, sur cette matière,
J’ai vu tout ce qu’ont fait La Fontaine et Molière ;
J’ai lu tout ce qu’ont dit Villon[2] et Saint-Gelais[3],

  1. Conte de La Fontaine tiré de l’Arioste.
  2. François Corbueil-Villon, né à Auvers près Pontoise, était un pauvre poëte, oisif et vicieux. Accusé et plusieurs fois convaincu de friponnerie, il fut condamné par le Châtelet à être pendu. Sa peine fut commuée en bannissement. De nouveaux méfaits lui attirèrent une nouvelle condamnation. Mais Louis XI, qui faisait cas de son talent, lui fit grâce du supplice. Ses poésies se ressentent de ses mœurs ; l’impiété et l’immoralité y dominent, et cependant on y trouve celle allure vive et spirituelle qui caractérise l’esprit gaulois. Il mourut en exil.
  3. Mellin de Saint-Gelais, pourvu par François Ier de l’abbaye de Reclus, dans le diocèse de Troyes, devint ensuite aumônier du Dauphin, et bibliothécaire du roi. Il composa des contes pleins de grâce et de naïveté. Il fut l’âme des fêtes qui se donnaient à la cour et vécut dans l’intimité de Clément Marot.