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BOILEAU.

L’Académie en corps[1] a beau le censurer :
Le public révolté s’obstine à l’admirer.
Mais lorsque Chapelain met une œuvre en lumière,
Chaque lecteur d’abord lui devient un Linière[2].
En vain il a reçu l’encens de mille auteurs :
Son livre en paroissant dément tous ses flatteurs.
Ainsi, sans m’accuser, quand tout Paris le joue,
Qu’il s’en prenne à ses vers que Phébus désavoue ;
Qu’il s’en prenne à sa muse allemande en françois.
Mais laissons Chapelain pour la dernière fois[3].
MaLa satire, dit-on, est un métier funeste,
Qui plait à quelques gens, et choque tout le reste.
La suite en est à craindre : en ce hardi métier
La peur plus d’une fois fit repentir Régnier.
Quittez, ces vains plaisirs dont l’appât vous abuse,
À de plus doux emplois occupez, votre muse ;
Et laissez à Feuillet réformer l’univers.
Et sur quoi donc faut-il que s’exercent mes vers ?
Irai-je dans une ode, en phrases de Malherbe,
Troubler dans ses roseaux le Danube superbe ;
Délivrer de Sion le peuple gémissant ;
Faire trembler Memphis, ou pâlir le croissant ;
Et, passant du Jourdain les ondes alarmées,
Cueillir mal à propos les palmes idumées ?
Viendrai-je en une églogue, entouré de troupeaux,
Au milieu de Paris enfler mes chalumeaux,
Et, dans mon cabinet assis au pied des hêtres,

  1. Voyez l’Histoire de l’Académie, par Pellisson. (B.)
  2. Auteur qui a écrit contre Chapelain. (B.) — Linière avait composé une épigramme contre la Pucelle avant 1667
  3. Boileau n’approuvait pas les censures de l’Académie, encore moins celles de Chapelain qui en était l’oracle et le secrétaire, et dans ce passage, les coups qu’il lui porte tombent si juste, qu’il peut en effet le laisser après, sûr qu’il ne s’en relèvera jamais.