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BOILEAU.

Puis de là, tout poudreux, ignorés sur la terre,
Suivre chez l’épicier Neuf-Germain[1] et La Serre[2] ;
Ou, de trente feuillets réduits peut-être à neuf,
Parer, demi-rongés, les rebords du Pont-Neuf[3].
Le bel honneur pour vous, en voyant vos ouvrages
Occuper le loisir des laquais et des pages,
Et souvent dans un coin renvoyés à l’écart
Servir de second tome aux airs du Savoyard[4] !
EtMais je veux que le sort, par un heureux caprice,
Fasse de vos écrits prospérer la malice,
Et qu’enfin votre livre aille, au gré de vos vœux,
Faire siffler Cotin chez nos derniers neveux :
Que vous sert-il qu’un jour l’avenir vous estime,
Si vos vers aujourd’hui vous tiennent lieu de crime,
Et ne produisent rien, pour fruits de leurs bons mots,
Que l’effroi du public et la haine des sots ?
Quel démon vous irrite, et vous porte à médire ?
Un livre vous déplaît : qui vous force à le lire ?
Laissez mourir un fat dans son obscurité :
Un auteur ne peut-il pourrir en sûreté ?
Le Jonas inconnu sèche dans la poussière :
Le David imprimé n’a point vu la lumière ;
Le Moïse[5] commence à moisir par les bords.
Quel mal cela fait-il ? Ceux qui sont morts sont morts :
Le tombeau contre vous ne peut-il les défendre ?

  1. Poëte extravagant. (B.)
  2. Auteur peu estimé. (B.)
  3. Où l’on vend d’ordinaire les livres de rebut. Aujourd’hui le bouquinisme est descendu du Pont-Neuf sur les quais environnants, dont il pare les abords.
  4. Fameux chantre du Pont-Neuf, dont on vante encore les chansons. (B.) — Il se nommait Philipot.
  5. Poëmes héroïques qui n’ont point été vendus. Ces trois poèmes avoient été faits : le Jonas, par Coras ; le David, par Las-Fargues, et le Moïse, par Saint-Amant. (B.)