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De ses propres défauts se fait une vertu.
Ainsi, cela soit dit pour qui veut se connoître,
Le plus sage est celui qui ne pense point l’être ;
Qui, toujours pour un autre enclin vers la douceur,
Se regarde soi-même en sévère censeur.
Rend à tous ses défauts une exacte justice,
Et fait sans se flatter le procès à son vice.
Mais chacun pour soi-même est toujours indulgent.
MaUn avare, idolâtre et fou de son argent,
Rencontrant la disette au sein de l’abondance,
Appelle sa folie une rare prudence,
Et met toute sa gloire et son souverain bien
À grossir un trésor qui ne lui sert de rien.
Plus il le voit accru, moins il en sait l’usage.
PlSans mentir, l’avarice est une étrange rage,
Dira cet autre fou non moins privé de sens,
Qui jette, furieux, son bien à tous venans,
Et dont l’âme inquiète, à soi-même importune,
Se fait un embarras de sa bonne fortune.
Qui des deux en effet est le plus aveuglé ?
QuL’un et l’autre, à mon sens, ont le cerveau troublé,
Répondra, chez Fredoc[1], ce marquis sage et prude,
Et qui sans cesse au jeu, dont il fait son étude,
Attendant son destin d’un quatorze ou d’un sept,
Voit sa vie ou sa mort sortir de son cornet.
Que si d’un sort fâcheux la maligne inconstance
Vient par un coup fatal faire tourner la chance,
Vous le verrez bientôt, les cheveux hérissés,
Et les yeux vers le ciel de fureur élancés,
Ainsi qu’un possédé que le prêtre exorcise,
Fêter dans ses sermens tous les saints de l’Église.
Qu’on le lie ; ou je crains, à son air furieux,

  1. Fredoc tenait une salle de jeu au Palais-Royal.