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Croit qu’en lui l’ignorance est un titre d’esprit ;
Que c’est des gens de cour le plus beau privilège,
Et renvoie un savant dans le fond d’un collège.
EtUn bigot orgueilleux, qui, dans sa vanité,
Croit duper jusqu’à Dieu par son zèle affecté,
Couvrant tous ses défauts d’une sainte apparence,
Damne tous les humains, de sa pleine puissance.
DaUn libertin d’ailleurs, qui, sans âme et sans foi,
Se fait de son plaisir une suprême loi,
Tient que ces vieux propos de démons et de flammes
Sont bons pour étonner des enfans et des femmes,
Que c’est s’embarrasser de soucis superflus,
Et qu’enfin tout dévot a le cerveau perclus.
EtEn un mot, qui voudroit épuiser ces matières,
Peignant de tant d’esprits les diverses manières,
Il compteroit plutôt combien, dans un printemps,
Guenaud[1] et l’antimoine ont fait mourir de gens,
GuN’en déplaise à ces fous nommés sages de Grèce.
En ce monde il n’est point de parfaite sagesse :
Tous les hommes sont fous, et, malgré tous leurs soins,
Ne diffèrent entre eux que du plus ou du moins.
NeComme on voit qu’en un bois que cent routes séparent
Les voyageurs sans guide assez souvent s’égarent,
L’un à droite, l’autre à gauche, et, courant vainement,
La même erreur les fait errer diversement :
Chacun suit dans le monde une route incertaine,
Selon que son erreur le joue et le promène ;
Et tel y fait l’habile et nous traite de fous,
Qui sous le nom de sage est le plus fou de tous.
Mais, quoi que sur ce point la satire publie,
Chacun veut en sagesse ériger sa folie,
Et, se laissant régler à son espri tortu,

  1. Guenaud, médecin de la reine.