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S’élevoient trois lapins, animaux domestiques.
Qui, dès leurs tendres ans, élevés dans Paris,
Sentoient encor le chou dont ils furent nourris,
autour de cet amas de viandes entassées
Régnoit un long cordon d’alouettes pressées,
Et sur les bords du plat six pigeons étalés
Présentoient pour renfort leurs squelettes brûlés.
À côté de ce plat paroissoient deux salades,
L’une de pourpier jaune, et l’autre d’herbes fades,
Dont l’huile de fort loin saisissoit l’odorat,
Et nageoit dans des flots de vinaigre rosat.
Tous mes sots, à l’instant changeant de contenance.
Ont loué du festin la superbe ordonnance ;
Tandis que mon faquin qui se voyoit priser,
Avec un ris moqueur les prioit d’excuser.
Surtout certain hâbleur, à la gueule affamée,
Qui vint à ce festin conduit par la fumée,
Et qui s’est dit profes dans l’ordre des coteaux[1].
A fait en bien mangeant l’éloge des morceaux.
Je riois de le voir avec sa mine étique,
Son rabat jadis blanc, et sa perruque antique,
En lapins de garenne ériger nos clapiers,
Et nos pigeons cauchois en superbes ramiers,
Et, pour flatter notre hôte, observant son visage,
Composer sur ses yeux son geste et son langage ;
Quand notre hôte charmé, m’avisant sur ce point :
« Qu’avez-vous donc, dit-il, que vous ne mangez point ?
Je vous trouve aujourd’hui l’âme tout inquiète.
Et les morceaux entiers restent sur votre assiette.
Aimez-vous la muscade ? on en a mis partout.

  1. Ce nom de l’ordre des Coteaux lut donné à quelques grands seigneurs fins gourmets qui ne tenaient en estime que les vins produits par les vignobles renommés de la Champagne, qui sont aux environs de Reims.