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Ma foi, vive Mignot[1] et tout ce qu’il apprête ! »
Les cheveux cependant me dressoient à la tête :
Car Mignot, c’est tout dire ; et dans le monde entier
Jamais empoisonneur ne sut mieux son métier.
J’approuvois tout pourtant de la mine et du geste,
Pensant qu’au moins le vin dût réparer le reste.
Pour m’en éclaircir donc, j’en demande ; et d’abord
Un laquais effronté m’apporte un rouge-bord
D’un Auvernat fameux qui, mêlé de Lignage[2],
Se vendoit chez Crenet pour vin de l’Ermitage[3],
Et qui, rouge et vermeil, mais fade et doucereux.
N’avoit rien qu’un goût plat, et qu’un déboire affreux.
À peine ai-je senti cette liqueur traîtresse,
Que de ces vins mêlés j’ai reconnu l’adresse :
Toutefois avec l’eau que j’y mets à foison
J’espérois adoucir la force du poison.
Mais, qui l’auroit pensé ? pour comble de disgrâce,
Par le chaud qu’il faisoit nous n’avions point de glace.
Point de glace, bon Dieu ! dans le fort de l’été !
Au mois de juin ! Pour moi, j’étois si transporté,
Que, donnant de fureur tout le festin au diable,
Je me suis vu vingt fois prêt à quitter la table ;
Et, dût-on m’appeler et fantasque et bourru,
J’allois sortir enfin quand le rôt a paru.
J’Sur un lièvre flanqué de six poulets étiques

  1. Mignot, pâtissier-traiteur, de la rue de la Harpe, trouvant dans cette plaisanterie une atteinte à son honneur, porta plainte au Parlement ; sa plainte ne fut pas accueillie : alors, il prit le parti d’envelopper ses pâtisseries et ses petits fours dans les pamphlets de Cotin qu’il fit imprimer à ses frais. La nouveauté de ce stratagème fit du bruit et donna à Mignot une grande vogue.
  2. Deux bons vins du terroir d’Orléans.
  3. Crenet était un célèbre marchand de vin dont la maison portait pour enseigne une Pomme de Pin. L’Hermitage est un vin renommé que produisent les coteaux des bords du Rhône.