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naïve dans sa force et, pour ainsi dire, projetée sur ceux qui la contemplent comme un immense jet de lumière au plus profond d’un gouffre obscur. Vous verrez une figure d’homme incroyablement majestueuse, une physionomie de maître du monde, dans une attitude éternelle de dominateur des intelligences. Le front est si vaste et les tempes, — ce noble signe de la Race humaine, — sont si larges, qu’un diadème, — si grand qu’il fût ! — n’y glisserait pas, et ne tomberait pas, — comme cela se voit tant aujourd’hui ! — sur les épaules, où l’auréole de la Majesté devient l’ignoble carcan des esclaves. Et la tête toute entière continue cette impression et la reproduit à chaque trait, toujours plus saisissante et toujours plus irrésistible, comme un vertige de magnificence qui se multiplie par sa propre intensité. Ce n’est pas même l’idée de la Force qui s’éveille dans la pensée à l’aspect de cette face extraordinaire : c’est l’étonnante idée de l’Indestructibilité. La plupart des physionomies humaines crient et vocifèrent leur propre destruction et paraissent, — aussitôt qu’immobiles, — s’imbiber lentement d’obscurité et s’enfoncer peu à peu dans le néant. Mais celle-ci, au contraire, semble prédestinée à nous émouvoir et à nous agiter, comme aujourd’hui même, longtemps encore après que toutes les autres auront croulé dans la poussière et se seront irrévocablement dissoute dans la nuit.

XI

Les yeux de ce buste ne regardent point ce traditionnel avenir que les plus plats bourgeois contemplent éternellement dans leurs sottes images quand ils entreprennent de se faire durer dans la préoccupation des hommes. Ces yeux-là n’ont point de rêverie mélancolique ni de lâche tristesse. Ils tombent droit sur vous,