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dans la ténébreuse plaine de l’histoire !... Tout cela, j’aurais voulu le dire et j’ai bientôt senti que je ne le pouvais pas. Nous allons toujours, dans nos confuses et embryonnaires sensations, de notre cœur à notre esprit, parce que le contraire n’est pas possible, malgré l’avis de tant de sots qui voudraient ainsi nous faire croire qu’ils sont profonds comme l’éther et inscrutables comme l’œil de Dieu. L’esprit est une impasse inexorable et, pour aller au cœur, Je vois bien ce que vous voulez dire, mais il faudrait une goutte de lumière de plus. il faut absolument frapper droit au cœur, surtout quand on a l’honneur de n’être pas Brutus et que l’on veut pourtant frapper le grand César !

VIII

Et César, ici, c’est tout ce qui porte une grande âme dans la grande agonie des civilisations mourantes de leur propre excès. C’est tout ce qui vibre et palpite encore dans cet assoupissement universel. Et ce cœur de César, l’aîné et le plus terrible des deux jumeaux vagissants tombés du ventre de la Louve antique, — ce cœur superbe où se résorbent les larmes du monde et qu’il importe de frapper afin que cette rosée surnaturelle retombe sur son ingrat sillon, — c’est le trois fois noble cœur de toute créature humaine capable de sentir la Beauté, la Grandeur, la Gloire, filles de l’Enthousiasme et divines comme lui. Indestructible cœur, créé, comme disait ce poëte, pour battre sans relâche à la porte du ciel et pour tinter le long des siècles, Tantale de son propre infini, imperméable à la mort même et renaissant jusque sous le vil couteau de la canaille conjurée ! Ah ! les grandes âmes sont nécessaires au monde et il crèvera hideusement quand il n’en existera plus. Il en faut de césariennes, de despotiques, d’incommensurables, où toutes les ambitions puissent venir s’engouffrer et ensuite se revomir ; il en faut pour expérimenter le genre humain, pour exprimer dans les faits