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mal, doit donc étudier presque exclusivement les histoires de Frauce et d’Espagne. AUicurs, on le retrouve sans doute, mais plein d’alliage, mêié à une foule d’autres sentiments qui altèrent sa pureté et qui dénaturent sa substance. En An~eterre. par exemple, il n’est pour ainsi dire que synonyme de loyauté, de véracité ii ne s’est pas séparé du fonds moral de l’âme humaine, il n’est pas devenu tout l’homme, et surtout il ne s’est pas imposé, comme en France et en Kspagne, à toute la nation. H est resté la propriété exciusivc de l’aristocratie féodale et a disparu avec elle.Le brillant chevalier du temps des l’iantagcuets, le grand seigneur du règne d’Elisabeth, le cavalier héroïque, partisan de Charles I", n’ont pas communiqué leur esprit à la bourgeoisie et au peuple. On peut même dire que le peuple anglais a préféré à cette vertu brillante les vertus simples et élémentaires qui (font [’honnête homme, et que cette notion chevaleresque de l’honneur fut enveloppée dans la réprobation terrible dont les puritains, représentants de la justice et des mœurs austères, frappèrent l’ordre politique, social et rcligieux du passé. Quant aux Italiens, ils l’ont toujours ignoré. Les traces toujours vivantes de la civilisation antique dans leur pays, et le peu de crédit qu’y trouvèrent les institutions féodales, les privèrent de ce sentiment délicat. En fait de vertus, les Italiens en sont restés aux simples prescriptions de la nature et aux lois sommaires de la morale antique, et ils semblent avoir toujours pensé que c’était bien assez pour les forces de l’humanité. En Aficmagne, l’honneur semble occuper une place intermédiaire entre la conception française et la conception anglaise

Ou connatt la fameuse théorie de Montesquieu la vertu est l’âme et le principal ressort des répubiiques, l’honneur est l’âme etie’principal ressort de lu monarchie. Rien n’est plus vrai que cette théorie, pourvu toutefois qu’on ne l’applique que d’une manière discrète et à certaines monarchies particulières. Lorsqu’il parlait ainsi, Montesquieu pensait à cette monarchie française, dont il avait sous les yeux le type vivant. Il séparait la monarchie des formes de gouvernement qui portent ce même nom, mais dont le despotisme est l’àme. Pour lui comme pour tous nos pères, la monarchie était une forme toute particulière du gouvernement polilique qui n’avait rien à démêler avec le pouvoir absolu, non plus qu’avec la liberté républicaine. Dans cette monarchie qui fut la nôtre, l’honneur était en effet le princij~pal ressort du gouvernement, parce que chacun faisait effort pour emporter d’assaut l’ajnour et la faveur du prince, et pour témoigner qu’il les avait mérités lorsqu’une fois il les avait conquis. L’honneur dans les monarchies tient lieu jusqu’à un certain point de liberté, car il pousse l’homme à faire plus que son 1. foy anrrhonncnranJaponnnartfctedeM.Rod. Lindau, Inséré dans la ~et«M des DetM-~fcofiee dn 1" septembre 1863, p. M5, en note. On sait que tes Japonais ont vécu plusieurs siècles sous le rénime féodtt.

devoir et l’engage, pour prouver son dévouement, à r’es actions qu’on ne lui demandait pas et qu’on n’aurait pu lui commander. En l’absence de liberté politique, l’honneur était donc pour nos pères un vrai principe de liberté~ car il leur inspirait des actes libres et voient taires. C’était par lui qu’on st rattachait an’ prince, c’était par lui qu’on s’en détachait ; c’était en son nom qu’on demandait la faveur, c’était lui qu’on sauvait avant tout dans la disgrâce. Tel est le rôle que joua, dans l’ancienne monarchie française, ie sentiment de l’honneur, principe d’obéissance et de liberté à ]a fois, souverain moyen d’action et unique sauvegarde de l’individu contre le despotisme du prince. La thjoric de Montesquieu est donc exactement t vraie pour la monarchie française et celles qui~ ont été formées sur le même modèle ; mais on doit se garder de l’appliquer indistinctement à toutes les monarchies. il y en a eu, il y en a encore de très-grandes où ce sentiment a toujours été inconnu, et par là nous n’entendons nullement énoncer un reproche. Le tort de Montesquieu a été de trop généraliser et de considérer le sentiment de l’honneur, non comme un sentiment avant tout local et historique, mais comme un sentiment universel et propre à toutes les nations et à tous les temps. Ce sentiment tout-juj~ant autrefois et qui fut presque exclusivement l’àme de nos pères, a laissé parmi nous des traces profondes, mais il a cependant perdu quelque chose de son empire. L’avénement de la démocratie a dépiacé t et changé les bases de la morale sociale. L) i. morale raffinée, déncatc, un peu superstitieuse, qui s’appuyait sur ce sentiment d’origine che-f valeresque, semble moins convenir a notre noH~’ vc’))e société que la bonne et indispensab~~ vieille morale de tous les temps et de tous Ic~ lieux. Les hommes élevés sous l’empire des~ nouveaux principes seront, selon toute apparence, plus soucieux de justice que de cheval. lerie, et préféreront les obligations du devoir aux obligations toujours un peu arbitraires de" l’honneur. L’humanité ne perd rien à ce dcpta~ cement des bases morales ; car la notion simplet du devoir que rien ne peut remplacer, est plus importante et plus essentielle que la notion de l’honneur, qui n’est, à tout prendre, qu’une application, une interprétation temporaire k accidentelle de la première. Toute la qt.estL~ s est de savoir si ce sentiment moins briUan~ mais plus austère du devoir, produira les m~ mes résultats que le sentiment de l’bonneH~~ Cette question doit être laissée dans le do~f~ car elle ne peut être résoiueavecimpartian’ L’ancienne société montre avec orgueil n~’ v existence de six siècles, pendant lesquels le sentiment qui lui servait de règle s pu donner sa mesure et montrer de quoi il était capable la nouvelle société, née d’hier, compte soixante ans à peine ; c’est un laps de temps trop court pour permettre de juger de la mo- [1]

  1. Il fant dire cependant qne l’honneur n’a pn empêcher ni tes grands crimes, ni les grands scandales, ni les grandes bassesses que l’on sait. M. B.